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Dans cet ouvrage, Donna Dickenson nous invite à modérer notre enthousiasme face à la médecine de précision, ou médecine personnalisée, qui ne recherche pas forcément le bien collectif, coeur de préoccupation de la santé publique.

 

Donna Dickenson est une philosophe américaine spécialiste des questions d’éthique médicale. Détentrice d’un master de la London School et d’un doctorat de l’université de Yale, Donna a passé l’essentiel de sa vie en Grande-Bretagne. Elle est devenue, en 2006, la première femme à recevoir le prix Spinoza-Lens international.

Une fiche de lecture à retrouver dans le bulletin n°31 du mois d’octobre 2016

 

Vantée de toute part, la médecine de précision, que l’auteur désigne sous le terme “ME Medicine”, a pour objectif de proposer un traitement personnalisé au malade, en tenant compte de ses spécificités, idéalement, de son génome. En se concentrant sur l’individu, cette médecine moderne, dont il ne faut ni négliger les bienfaits ni les potentiels, prend le contre-pied d’une médecine plus traditionnelle où le même traitement doit convenir à tous, pour peu que leur situation pathologique soit la même (“WE Medicine”).

 

Donna Dickenson interroge l’essor de la médecine personnalisée et considère que quatre raisons peuvent l’expliquer. En premier lieu, elle affirme qu’un sentiment de “menace et de possible contamination” pousse les individus à se tourner vers des soins individualisés. L’intérêt industriel est évoqué ensuite ; un intérêt à créer de nouveaux produits au sein d’un marché en plein essor, dans autant de niches qu’il est possible d’en imaginer, assurant de fait une forte valorisation. L’accès aux soins peut alors être menacé en se trouvant dépendant de la capacité de chacun à payer. Ensuite, l’auteur souligne la domination des principes d’autonomie et de choix individuel comme valeurs morales d’une société dans laquelle règne l’individualisme. Enfin, elle souligne les tendances narcissiques des patients, particulièrement visibles dans la pratique de l’enhancement. L’auteur se défend de l’argument prétextant que le bénéfice pour un individu est synonyme de bénéfice pour la société entière. Cela n’est pas si évident. En revanche, il est clair qu’en améliorant la santé de certains on creuse les inégalités au sein de la communauté concernée.

 

Le spécialiste de santé publique, sur ce sujet, se doit d’être éclairé. Alors que la médecine personnalisée transforme le sens du soin dans les sociétés anglo-saxonnes, elle raisonne avec une intensité plus grande encore pour nous dont le système de santé repose sur la fourniture universelle de soins au nom d’un fort pacte social. Le constat est le même qu’il s’agisse du curatif ou du préventif. Pire ! Lorsqu’on ajoute la défiance voire la méfiance à l’égard des politiques et messages sanitaires, le sens de l’intérêt collectif s’éloigne encore davantage. En atteste la complexe problématique de l’hésitation vaccinale, dont nous entendrons encore parler en raison du plan d’action de rénovation voulu par Marisol Touraine, et sur laquelle Donna Dickenson consacre une partie de son livre. Il est difficile d’imposer une obligation vaccinale à une population qui revendique dans un élan survivaliste sa liberté à la refuser. C’est là un vrai défi qui nous engage que de parvenir à recréer, dans une société de plus en plus morcelée à tous points de vue (économique, territorial, religieux), un sens de l’intérêt collectif et partant une authentique “prévention collective” là où l’on n’entend plus que de la “prévention individuelle”.

Sylvain GAUTIER, ISP de Paris