Découvrez les premiers pas, il y a 30 ans de cela, d’une interne de Santé publique dans la spécialité. Les fondateurs du CliSP nous ont permis d’imaginer ces instants d’hésitation entre choix audacieux et enthousiasme ambitieux. Ils étaient les premiers, ils ont aidé à dessiner les contours d’une nouvelle spécialité dans laquelle s’épanouissent désormais plusieurs promotions d’internes.

 

« Levez vos stylos ! » L’ordre tombe comme une délivrance, la fin d’une période longue et laborieuse. Laure* relève la tête, ses concours sont finis. Comme beaucoup d’autres étudiants en médecine, elle avait choisi de passer l’internat pour « faire quelque chose de sa vie ». Son oncle est un pédiatre renommé, son grand-père a dirigé un grand service de chirurgie générale… en choisissant médecine elle savait : elle devrait se spécialiser.

En effet, deux ans auparavant, la loi portant réforme du troisième cycle des études médicales  a finalement rendu le concours de l’internat obligatoire pour accéder aux spécialités. Laure avait suivi les nombreux débats entre le corps médical et le monde politique. Elle était même descendue dans la rue à plusieurs reprises avec de nombreux étudiants soucieux de devoir se confronter à un nouvel écrémage après une sélection initiale déjà sévère.

La loi adoptée, Laure a donc passé les concours. Il est maintenant temps de choisir sa spécialité. Après de nombreuses réflexions, Laure décide de ne pas intégrer une spécialité clinique. Elle découvre que la réforme de 1982 avait créé trois nouvelles filières : Recherche, Médecine du travail et Santé publique. La Santé publique est maintenant une spécialité médicale universitaire mais ne paraît pas encore considérée comme légitime. Les uns pensent que sa création relève d’une posture idéologique allant à l’encontre des spécialités « nobles » ; d’autres la considère comme inutile ; au mieux on dira que c’est une étrangeté qui sera bien vite supprimée. Pourtant, Laure se lance : elle intégrera la promotion 1984 des internes de santé publique !

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Pour son premier stage, le nombre de terrains proposés s’avère faible. Elle se tourne finalement vers un stage à la DASS (direction des affaires sanitaires et sociales). Mais, au moment de faire son choix :

« – Etes-vous sûre de vouloir ce stage ? lui-dit la responsable. Parce que nous, on ne va pas pouvoir vous payer si vous allez là-bas.
– Comment ça ?
– Bah, vous comprenez, on n’a pas prévu de payer les internes qui ne travaillent pas dans les hôpitaux. Enfin, vous pouvez y aller mais vous n’êtes pas sûre d’être rémunérée… »
Laure opte donc pour un stage en hygiène hospitalière au CHU. Ils sont quatre internes pour gérer les consultations antirabiques dans un secteur où aucun cas de rage n’a été recensé depuis de nombreuses années. Une fois par semaine, elle est chargée de prélever des échantillons sur les poignées de portes du CHU pour pouvoir les analyser ensuite.
Pour sa formation théorique, Laure découvre bien vite qu’aucun cours ne lui est proposé. La formation des internes de Santé publique n’est pas encore mise en place… Rien ne semble prévu pour eux.

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« On est réellement bons que dans l’intranquillité »

Un peu sidérée par cette situation, elle décide de suivre une formation de statistique organisée à Paris. C’est à cette occasion que Laure fait la connaissance d’autres ISP. Ils ont pris l’habitude de se retrouver après les cours et l’invitent à se joindre à eux. Les discussions vont bon train ! Chacun raconte un bout de son histoire : son stage, ses co-internes, ses professeurs. Ils ont tous une idée de ce qu’ils veulent faire : recherche, politique, promotion de la santé, économie… Ils savent tous dans quel domaine de la Santé publique ils veulent évoluer et surtout ils veulent y être bons ! Mais le chemin paraît difficile et même incertain. Sans formation, ni cours, ni stage, quelles seront leurs chances ?

 

« L’incertitude est source de création »

Vient alors le temps des grandes idées, celles qui commençaient à germer dans l’esprit de chacun, elles prennent forme petit à petit : il faut faire plus, créer une formation, ouvrir des stages, se faire connaître !
Laure partage le même enthousiasme que les autres : elle croit en cette discipline et en son importance. Il faut se battre ensemble pour qu’elle ne devienne pas une sous-spécialité. Mais « ensemble » nécessite de l’organisation… Certains ont déjà pris l’initiative de créer des associations d’ISP dans leur propre ville mais les internes y sont peu nombreux.

« Et si on regroupait les ISP dans un seul organisme ». L’idée est lancée. Elle paraît évidente. Une organisation nationale apportera la reconnaissance de la spécialité et permettra de mutualiser les informations sur les formations et les débouchés.
La volonté première est de rassembler les ISP. Il est donc rapidement décidé d’éviter toute connotation politique : pas de syndicat mais un collège, pas de président(e) mais l’ensemble des représentants des associations locales tous égaux et tous investi. Nous sommes en 1986, le CliSP est né !


Les premières Assises Nationales des internes de Santé publique ont lieu à Lyon. Laure s’y rend pour représenter les ISP de son inter-région. Au vu des récents débats parlementaires, la spécialité est menacée. Le collège décide donc de rencontrer les décideurs pour montrer l’importance de la spécialité. Ensemble, ils écrivent de nombreux courriers adressés aux cabinets ministériels de la santé et de l’enseignement en espérant pouvoir ouvrir le dialogue. La première réponse vient du Directeur Général de la Santé, Jean-François Girard, qui accepte de les recevoir. Cette rencontre importante va leur donner une légitimité en tant que spécialité médicale. D’autres conseillers du ministre de la santé et du ministre de l’enseignement les recevront les mois suivants. Laure assiste à chaque rencontre avec une dizaine d’autres représentants des inter-régions.
Il faut aussi travailler sur le terrain. Les associations d’inter-région non existantes se créent rapidement et s’activent à ouvrir des stages formateurs aux ISP. Grâce aux négociations du CliSP, les représentants des internes peuvent être présents aux commissions de DES locales pour participer à l’ouverture de terrains de stages appropriés à leur formation.

 

« On est peut-être devenu ISP par concours de circonstance, mais on y reste parce qu’on est bons et ambitieux »

Au fur et à mesure de son internat, Laure va voir la Santé publique s’installer petit à petit à l’hôpital avec l’ouverture de services de recherche clinique et la création des DIM suite à l’arrivée du PMSI. Les internes sont de plus en plus présents dans ces services et vont participer à l’organisation de la Santé publique dans le milieu hospitalier. Mais Laure garde une idée précise en tête : au début de son internat, le virus du SIDA a été découvert par une équipe de l’institut Pasteur. Elle a suivi la prise de conscience progressive autour de la maladie et souhaite orienter sa carrière dans ce domaine. Après plusieurs stages dans des services hospitaliers spécialisés dans le SIDA, elle parvient à ouvrir un stage chez AIDES et découvre l’organisation de la prise en charge des malades sur le territoire. Elle oriente finalement son parcours en recherche épidémiologique autour du SIDA grâce à ses derniers stages en unité de recherche.

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Jusqu’à la fin de son internat, Laure assiste à chaque réunion du CliSP. Elle y retrouve des co-internes devenu des amis. Passionnés, téméraires et ambitieux, ils créaient un état d’esprit sans se douter que, 30 ans plus tard, nous serions 200 ISP rassemblés à Nantes pour un séminaire national extraordinaire !

*Laure est un personnage fictif, inspiré des récits de certains membres fondateurs du CliSP. Un grand merci à Anne Gagnepain-Lacheteau (ISP promo 1985, Montpelier I. Directeur médical, Fondation Sanofi Espoir), Christine Lasset (ISP promo 1984, Lyon Sud. PU-PH SP, centre Léon Bérard, département de recherche génétique et épidémiologie des cancers) et Cédric Grouchka (ISP promo 1985, Toulouse. Membre du collège de l’HAS) pour leur aide précieuse dans la rédaction de cet article.

Par Louise Petit, ISP de Paris
Illustrations de Laetitia Satilmis, ISP de Lyon