Sociologie politique de la santé, Henri Bergeron et Patrick Castel,
L’ouvrage d’Henri Bergeron et de Patrick Castel est une véritable mine d’or pour celles et ceux qui souhaitent découvrir ou redécouvrir notre système de santé en dehors de la vision purement médicale que nous pouvons en avoir.
Bien fournies, les 429 pages de papier bible de l’ouvrage peuvent en rebuter plus d’un. Mais à peine les premiers chapitres entamés que nous nous plongeons dans l’univers de la sociologie politique de la santé. Les paragraphes se parcourent avec une fluidité presque étonnante. Même aux « profanes » de la sociologie (au sens durkheimien du terme) l’approche pédagogique du texte séduit et convainc à se pencher davantage sur les sciences humaines pour éclairer notre vision de médecin.
« Sociologie politique de la santé » est un ouvrage complet (parfois trop) permettant d’étayer les réflexions personnelles : quelles ont été les évolutions des systèmes de santé depuis leur création ? Sous quelles impulsions ? Quel rôle y a joué le corps médical ? Et …comment le ‘corps médical’ s’est-il lui-même constitué ?
L’ouvrage est articulé en trois parties pouvant se découvrir indépendamment : les trajectoires des systèmes de santé ; les organisations et les professionnels du soin et enfin les politiques de santé publique.
La première partie sur les trajectoires de santé tente d’expliquer la genèse et la diversité des systèmes de santé en mettant l’accent sur le modèle américain qui paraît si étrange d’un point de vue européen. Il est ici également question des différentes réformes des systèmes de santé, de leur direction commune s’il en est, ainsi que des instruments utilisés par les politiques pour y parvenir.
La deuxième partie s’attache à détailler les professionnels de santé, leur constitution (quelle part de responsabilité de la faculté de médecine dans l’identité médicale ? etc) et leur organisation. Comment expliquer le rôle et le poids des médecins dans les décisions politiques ? Comment cette profession a su faire corps pour gagner sa place dans la société et peser sur les décisions ? Les auteurs soulignent également les fragmentations au sein même de la profession sur différents sujets, et à différentes époques, et notamment lors de la création de la Sécurité sociale. Enfin, l’hôpital est passé à la loupe sociologique tant sur son organisation propre, sur les rôles joués par les différents acteurs que sur la relation thérapeutique – asymétrique et si particulière – entre un médecin et ‘son’ malade.
La troisième et dernière partie aborde les politiques de santé publique. Abordant des sujets pourtant très familiers, l’ouvrage réussit néanmoins à nous les faire redécouvrir en changeant complètement de paradigme : l’épidémiologie et la recherche biomédicale, les causes des inégalités sociales (et politiques) en santé ou encore les instruments de la santé publique. Ce chapitre décortique au passage les différentes « crises sanitaires », « affaires » et autres « scandales » (Médiator®, prothèses PIP®, …) avec une approche détaillée – et un brin caustique – sur les difficultés de notre système de santé.
La conclusion revient sur la problématique initiale – ô combien centrale – de la place que nous accordons à l’État. Face à la crise de l’État-Providence et l’émergence des néo-libéralismes, quelles perspectives d’évolution pour notre protection sociale ?
Alors que les débats autour de la loi de santé déchaînent les passions – souvent au-delà du raisonnable – cet ouvrage permet d’apporter un prisme différent et ainsi de découvrir des réalités tout en nuances et en complexités.
Sociologie politique de la santé, par Henri Bergeron et Patrick Castel. Presses Universitaires de France, 2015, 484 p., 24€.
Mickael Benzaqui, ISP à Reims