Bonjour Arnaud, pourrais-tu te présenter en quelques mots ?

J’ai 31 ans, un enfant, je suis médecin de santé publique et AISP. Je travaille actuellement à la Haute autorité de santé en tant qu’adjoint au chef du service « indicateurs pour l’amélioration de la qualité et la sécurité des soins » (SIPAQSS), qui, au passage, est elle-même médecin de santé publique.

Quels ont été les postes que tu as occupés en sortant de ton internat et quel était ton travail, tes missions ?

Juste après l’internat j’ai travaillé au ministère de la santé, à la DGOS (Direction générale de l’offre de soins) dans un bureau qui travaille sur la planification des soins et sur l’évolution du modèle de financement des soins.

J’y ai donc fait des choses diverses : j’étais le pilote du programme national d’amélioration de la pertinence des soins, mon rôle le plus visible, je faisais l’appui médical sur les questions de planification sanitaire (SROS-PRS), j’étais chargé de la définition des indicateurs de performance pour les structures de SSR, nous avons aussi défini une nouvelle catégorie d’établissements de santé : les hôpitaux de proximité pour lesquels il faut désormais élaborer un modèle de financement alternatif à la T2A. J’avais lancé un projet de projections des activités (nombre de séjours) en MCO et SSR pour étudier l’impact prévisionnel sur l’organisation des soins et nous avons réalisé la méthode de péréquation du Fonds d’Investissement Régional (FIR). Ce qui est agréable au ministère est que toutes les initiatives personnelles sont encouragées (jusqu’au moment de l’arbitrage politique évidemment) et que les dossiers ont tout de suite une portée nationale.

La HAS est mon second poste. J’ai beaucoup apprécié ce que j’ai fait avant, mais je dois dire, en tant que médecin, que la régulation actuelle est essentiellement financière, ce qui atteint rapidement ses limites… D’ailleurs de nombreux sujets sont communs avec mon ancien bureau ce qui me permet de revoir mes collègues, en étant de l’autre côté, du côté « qualité ».

Envisages-tu d’accueillir un (des) interne(s) dans ton service ?

C’était envisagé dans le bureau dans lequel j’étais à la DGOS : un poste existe à la DGOS mais il existe plusieurs fiches de poste et le bureau rédigeait la sienne également. Les capacités d’encadrement existaient puisque quand je suis parti, il y avait 2 autres médecins de santé publique dans le bureau. Ce semestre, le service dans lequel je travaille à la HAS accueille une interne que j’ai la chance d’encadrer. Personnellement, je trouve que pouvoir confier un travail à quelqu’un qui a été « formaté » et « pense comme moi », je veux dire avec sa formation de médecin et son point de vue santé publique, c’est un vrai plaisir.

Peux-tu nous raconter quel est ton parcours et pourquoi tu as choisi la médecine puis la santé publique ?

En fait, je n’ai choisi santé publique que la semaine précédant les choix…j’avais passé la dernière année d’externat en me disant que je ferai médecine générale à Paris pour suivre un MBA et devenir manager, avec dans l’idée de devenir directeur d’hôpital. Disons-le, je ne m’étais pas énormément renseigné auparavant sur cette formation qui en fait a lieu à l’EHESP à Rennes. En tous les cas, je voulais gérer des projets et des gens et surtout éviter le côté répétitif et technique. J’ai eu la chance d’être en contact avec d’autres AISP, comme quoi ça sert, qui bossaient à l’époque à la Mission nationale d’Expertise et d’Audit Hospitaliers (MeAH) qui faisaient de l’analyse de processus dans des établissements de santé et se servaient du retour d’expérience pour produire des guides à l’usage de l’ensemble des établissements. Ça m’a vraiment intéressé. Depuis la MeAH est devenue l’ANAP et ne fait plus vraiment ça. Mais au moins je suis au bon endroit.

Raconte-moi ton internat…

1er stage : DIM, à Lariboisière. Les fameux AISP qui m’avaient mené dans la bonne spécialité m’avaient dit que c’était un passage quasi obligé de l’interne, surtout étant donné ce qui m’intéressait. Ça ne m’a pas follement intéressé mais j’ai vu ce que c’était. Il y avait un CDAG rattaché au service et c’était sympa de pouvoir aller y faire des consultations. Ensuite, l’Inpes. J’y ai passé officiellement 6 mois, officieusement un an car je continuais à mener mon projet pendant le stage suivant au Haut conseil de santé publique. J’avais fait une sorte de partenariat entre les deux institutions pour poursuivre une étude prospective de l’état de santé de la population à horizon 2030 et en déduire les axes de prévention à mettre en œuvre dès 2010. Le HCSP ayant une commission prospective avait tout intérêt à y figurer. Au HCSP j’ai passé un an pour pouvoir mener au bout différents projets : j’ai participé à l’évaluation de la loi de Santé Publique de 2004, mené l’évaluation du programme de lutte contre la tuberculose et participé à l’évaluation du plan « Bien vieillir ». Après avoir rencontré tant de MISP à l’INPES et au HCSP, et bien en peine pour trouver un stage qui m’intéressait, j’ai décidé d’aller suivre la formation des MISP à Rennes en me disant que ça permettrait de passer le concours après. Assez déçu des enseignements de l’EHESP j’étais très content d’être en stage à l’ARS Bretagne surtout au moment où les ARS se constituaient. Là-bas, j’ai travaillé sur l’anticipation des besoins en ressource médicale dans le cadre des SROS-PRS. Planification, projections, politiques publiques, j’étais dans mon élément. J’ai passé ma dernière année d’internat dans l’unité INSERM U707, équipe ERES de Pierre Chauvin qui m’a appris l’épidémiologie sociale. A l’inserm j’ai évalué et comparé des scores individuels destinés à mesurer la précarité sociale.

Quels ont été les masters/formations complémentaires que tu as suivis ? Que t’ont-ils apporté ?

Plein, j’aime apprendre des choses différentes et je suis persuadé que l’internat de santé publique est très bien fait pour cela. Il permet aux curieux d’expérimenter pleins de choses différentes avant de se lancer. Je ne dis pas que c’est fini après, mais pendant l’internat on est payé pour ça ! Pour répondre à ta question j’ai donc suivi le master 1 de santé publique de Paris 11, quasi obligatoire pour tout interne parisien. J’ai ensuite fait un master qui s’appelait « analyse et management des établissements de santé » EHESP, Paris 7, école du Val de Grâce. C’était toujours dans l’idée de devenir directeur d’hôpital. Super cadre, bon réseau. L’année d’après j’étais à Rennes pour la formation des MISP, j’ai essayé de suivre un master mais cela m’a été refusé car ils pensaient que je n’aurais pas le temps compte tenu de l’emploi du temps de formation des MISP. Je croyais que c’était une blague mais ils le pensaient vraiment. Rentré à Paris j’ai suivi un master qui s’appelle « gestion d’un projet humanitaire » à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) en collaboration avec l’institut Bioforce. Cet organisme m’a permis d’aller étudier la logistique de santé au Burkina Faso pendant mes congés d’été et de comprendre pourquoi 1 vaccin acheté ce n’est pas une vie sauvée.

Que retiens–tu de ces 4 années ?

Des travaux qui menés jusqu’au bout donnent des références et justifient des compétences. Un travail mené en stage donne de la valeur, c’est comme un emploi qu’on aurait quitté rapidement. Les 4 années m’ont aussi donné un réseau évidemment. Et puis des amis, avec qui j’ai plaisir à travailler. Ton chef d’aujourd’hui peut devenir ton collègue de demain.

Qu’aurais-tu aimé apprendre ou approfondir plus au cours de tes années d’internat ?

La gestion de projet. Pendant tout l’internat je me suis dit que ça manquait à notre bagage. C’est quand même dommage de faire autant de formations et de se rendre compte en sortant qu’il manque une des principales.

Quelles sont les compétences les plus importantes à acquérir d’après toi pendant l’internat ?

La première phase de l’internat de santé publique consiste à se trouver, se forger une identité. On ne fait plus (ou presque) de clinique donc on s’éloigne des standards du médecin, de la vision qu’en ont notre famille et nos amis. En même temps, nous découvrons autre chose de très divers et nous devons trouver ce qui nous plaît. C’est perturbant. Ensuite, on se rend compte qu’on voudrait faire plein de choses mais on se dit (et on nous dit) que notre parcours doit être cohérent. C’est complètement faux. Pour la petite histoire un membre du jury m’a demandé le jour de ma soutenance de DES si je comptais trouver un boulot étant donné l’incohérence de mon parcours… A moins d’être sûr de ne vouloir exercer que dans un domaine très précis, il ne faut pas écouter ces gens enferrés dans leur domaine depuis des décennies. Pour moi, trouver sa place en santé publique en France est déjà une sacrée compétence.

Qu’envisages-tu pour la suite de ta carrière ?

Plein de choses. Je suis jeune, dynamique et j’espère que ma vie sera longue.

Pourrais-tu nous parler de ta rémunération ?

Sans problème. J’encourage les gens autour de moi à en parler car ça ne retire rien à personne d’en parler et ça permet à tout le monde de mieux savoir combien il vaut quand il s’agit de négocier son salaire, surtout en sortant de l’internat. Je n’ai pas fait de garde pendant mon internat donc traitement de base d’un interne. J’ai peu anticipé la fin donc j’ai pioché dans la réserve pendant que les boîtes prenaient leur temps pour étudier mon CV ou me faire passer des séries d’entretiens…J’ai été embauché en CDD de 2 ans à la DGOS à 3200€ net, je suis parti au bout de 2 ans payé 3400€ net. J’ai refusé le CDI proposé à la HAS qui était à ce même niveau de salaire pour des fonctions complètement différentes puisque j’encadre des gens, que je travaille deux fois plus loin de mon domicile, dans une autre organisation et un autre domaine…au final j’ai donc toujours un CDD mais de 3 ans et je gagne 20% de plus qu’avant.

Et la vie à côté ?

Un fils de 2 ans, un autre bébé à venir à la fin de l’année, une maison en cours d’achat…des projets plein la tête. Pendant mes études j’ai pas mal mis le sport entre parenthèse. Ça fait 2 ans (oui, depuis la couvade) que je m’y remets gentiment. Je pense qu’il est temps de passer aux choses plus sérieuses.

Quels conseils donnerais-tu à un interne qui débute ou qui finit ?

Préparer la sortie s’il ne veut pas faire comme moi : rien pendant 3 mois… Pour info aux lecteurs, les internes ne cotisent pas au chômage, pas la peine d’aller pointer.

Selon toi, quels sont les enjeux futurs pour la santé publique en France (et ailleurs) et donc pour les ISP qui seront en poste ?

Fédérer les médecins de santé publique. Grâce au CLISP et à l’engagement de certains, la formation tend à se standardiser et se structurer de plus en plus, c’est très bien. Mais après, on est tout seul, et ça c’est dommage. Nous sommes une force, mais une force dispersée, invisible et du coup on ne pèse pas grand-chose dans un monde qui ne nous connaît pas et où il faut sans arrêt justifier ses compétences et son apport. A mon avis il faut monter une société française des médecins de santé publique.

Un dernier message à transmettre aux lecteurs du bulletin en tant que « jeune professionnel de santé publique » et « ancien interne de santé publique » ?

La santé publique est encore embryonnaire en France. C’est dommage parce qu’on essuie encore les plâtres mais c’est aussi plein d’opportunités. Tout est à faire.

Propos recueillis par Laetitia Satilmis, ISP à Lyon.