Interview d’Olivier Smadja
porteur de projet du Moi(s) sans tabac pour Santé publique France
Soucieux de faire diminuer la prévalence tabagique en France, Santé publique France proposera au mois de novembre prochain à tous les fumeurs d’arrêter ensemble. Cette déclinaison du programme Stoptober britannique vient enrichir le plan national de réduction du tabagisme (PNRT). Olivier Smadja nous éclaire sur le pilotage de ce projet d’envergure nationale.
Olivier Smadja, porteur du projet
Moi(s) sans tabac
C : Pouvez-vous tout d’abord vous présenter en quelques mots ?
O : Je m’appelle Olivier Smadja, je travaille dans l’unité Addiction de Viêt Nguyen-Thanh (tabac, alcool, drogues illicites et addictions sans substance), au sein de la direction de la Prévention et Promotion de la santé de Santé Publique France. Cette direction s’occupe du pilotage, de la conception et mise en œuvre des politiques publiques de prévention et promotion de la santé. Sur le tabac, je m’occupe du pilotage du projet Moi(s) sans tabac (MsT), et j’interviens aussi sur le dispositif d’aide à l’arrêt Tabac Info Service (TIS).
C : On connaît les enjeux en matière de lutte contre le tabagisme en France, pourquoi cette campagne ?
O : Pour deux raisons : d’une part, la France est un mauvais élève en terme de prévalence du tabagisme, et d’autre part, le tabagisme est la première cause de décès évitables en France. C’est une obligation que d’agir quand on s’intéresse à la santé publique. Par ailleurs, on sait que les campagnes, notamment en matière de lutte contre le tabagisme, sont des ressorts efficaces de l’intervention publique. On a découvert cette opération en Angleterre (connue sous le nom de Stoptober), opération qui a été évaluée et a montré des résultats plus qu’encourageant : les anglais ont observé 50 % de tentatives d’arrêt en plus au mois d’octobre 2012 (comparativement aux années précédentes). Cela nous semblait intéressant de capitaliser sur une opération de communication qui disposait déjà d’une évaluation robuste, plutôt que de partir de zéro.
C : En quoi s’avère-t-elle différente de tout ce qui a déjà été tenté ?
O : Elle est différente sur deux points. Tout d’abord le MsT fait une promesse aux fumeurs: « on vous lance un défi, essayez d’arrêter de fumer pendant 30 jours. Si vous y parvenez, vous aurez multiplié par 5 vos chances de rester non fumeurs ».
Jusqu’à présent, nos campagnes avaient implicitement pour objectif d’inviter à arrêter de manière définitive.D’autre part, jusque là, chaque année, nous faisions uniquement des campagnes média (diffusées à la télé, à la radio, sur internet, etc). Dans le MsT, il y a à la fois un volet média mais aussi un volet très important hors média, avec l’ambition d’aller rencontrer les fumeurs sur le terrain via des actions de proximité. Cela permet de leur fournir directement des ressources et outils pour leur donner envie de faire une tentative d’arrêt, et de les accompagner dans celle-ci.
C : Vous nous dîtes que Moi(s) sans tabac est une déclinaison à la française du Stoptober britannique. Quelle est notre singularité ? Quelles seront les spécificités de la version « française » ?
O : Déjà on ne s’appelle pas pareil (rires) ! On a repris la philosophie de Stoptober en inventant un dispositif singulier dont on espère qu’il sera adapté au contexte français. L’organisation locale et l’accompagnement à la sortie du tabac sont différents outre-manche. En Angleterre, il existe 152 Stop Smoking Services étendus sur tout le territoire qui sont entièrement mobilisés pour Stoptober. En France, on peut s’appuyer sur le réseau des 1500 tabacologues en exercice mais de façon différente. Il nous a fallu organiser des partenariats non seulement avec les professionnels de santé mais aussi avec toute la société civile, acteurs de santé publique et grandes entreprises, en les faisant adhérer à notre projet.
C : On comprend le travail de longue haleine que cela a dû être. Combien de temps a-t-il fallu au total pour faire naître le Moi(s) sans tabac ?
O : Il a fallu en tout environ 16 mois, du début du projet jusqu’à la date officielle de son lancement (le 10 octobre 2016). Public Health England (PHE) nous a présenté pour la première fois Stoptober en 2012 à Londres. L’année suivante, la publication des résultats de la campagne sur les tentatives d’arrêt au mois d’octobre 2012 a fini de nous convaincre de faire de même ! En parallèle, le PNRT (Plan National de Réduction du Tabagisme, ndlr) était en cours d’écriture, et MsT s’y est trouvé inscrit. A la nomination de François Bourdillon à la tête de l’ex-INPES, la Direction Générale de la Santé (DGS) nous a donné le feu vert.
C : Comment avez-vous préparé la campagne en amont de son lancement officiel ?
O : La première étape a été de détailler par écrit tout ce qu’était Stoptober. Après avoir décrit l’organisation mise en place par PHE, on a présenté le projet à la DGS, aux ARS et aux divers partenaires. Cela nous a permis d’identifier les leviers et les freins. On a alors pu construire le projet français. Le premier comité de pilotage s’est déroulé en février 2016. Un pilotage régional a également été imaginé, pour être au plus près des actions locales. La deuxième grande étape a été celle de la conception et production des outils : un espace professionnels sur le site TIS, un kit d’aide à l’arrêt etc. Un appel à projet a aussi été lancé pour associer au MsT d’autres institutions (ligue nationale contre le cancer, fondation du souffle etc.). Enfin, en juin a été présenté l’identité visuelle du projet avec le logo du MsT notamment.
C : Prévenir c’est surtout communiquer. Sur quels canaux comptez-vous pour le MsT ? Sont-ils des canaux de communication traditionnels pour vous ? Y a-t-il eu de l’innovation en la matière à cette occasion ?
O : On communique sur tous les canaux de communication : internet, TV, radio, smartphone, campagne d’affichage, mais aussi via les réseaux sociaux et application mobile TIS. Plus localement, les ambassadeurs superviseront les multiples actions de proximité et les pharmacies mettront à disposition gratuitement sur leurs présentoirs nos kit d’aide à l’arrêt.
C : Qui sont les partenaires du MsT ? Ont-t-ils été difficiles à mobiliser ?
O : Au-delà des professionnels et des grandes institutions, ce sont plus de 50 partenaires qui porteront le défi collectif du MsT. L’engouement a été dès le départ au rendez-vous. Le plus compliqué a été de travailler avec des opérateurs qui n’interviennent pas dans le monde de la santé : le tabac est peu présent dans la “sécurité au travail” et beaucoup d’entreprises le relèguent à la sphère privée, considérant que le tabagisme est un choix personnel. Il a fallu leur expliquer que cela les concernait aussi. Nous avons été victimes de notre succès ! Nous ne sommes qu’une dizaine à travailler sur ce projet. On se retrouve vite sollicité de toute part !
C : Le Moi(s) sans tabac aura une identité visuelle propre. Quels arbitrages ont été rendus à ce propos ? Pourquoi ce logo ?
O : Il y a eu d’abord le choix du nom de l’opération, qui finalement a été choisi assez tard, en février dernier. Son nom devait être compréhensible et porteur de sens. Et concernant le logo, on voulait qu’il soit facilement compréhensible et identifiable, lisible, dynamique et renvoyant à des idées positives !
L’équipe de Moi(s) sans tabac de Santé publique France
C : On reproche de façon récurrente l’absence d’évaluation des actions de santé publique menées. Alors que le Moi(s) sans tabac s’inscrit dans le Programme national de réduction du tabagisme (PNRT 2014-2019), pouvez-vous nous en dire davantage sur le volet évaluatif du dispositif ?
O : Comme les anglo saxons, nous avons prévu un volet évaluatif à la mesure de notre ambition et de nos moyens. Il est prévu que l’on mène une évaluation d’impact, en mesurant les tentatives d’arrêt grâce au Baromètre Santé 2017, et une évaluation de processus pour savoir comment a été perçu, compris et mémorisé MsT. On sera également attentif à l’implication, la perception et l’agrément. Un post-test quantitatif auprès du grand public est prévu ainsi qu’un post-test qualitatif auprès des professionnels de santé et auprès des inscrits à Mois sans tabac.
C : À vous entendre, on mesure l’investissement, tant humain que financier, de Santé publique France, la nouvelle agence nationale de santé publique, sur ce projet. Cette action ne va-t-elle pas supplanter d’autres campagnes médiatiques de lutte contre le tabac ? La lutte contre le tabagisme ne va-t-elle se résumer, en France, qu’au Moi(s) sans tabac?
O : Les campagnes de lutte contre le tabagisme sont les campagnes médiatiques de Santé Publique France pour l’essentiel. Nous avons prévu de continuer à communiquer tout au long de l’année mais évidemment pas avec la même puissance que celle déployée pour MsT. Nous souhaitons que cette opération trouve sa place dans le calendrier de communication de lutte contre le tabagisme. La campagne va perdurer dans le temps et être relancée chaque année au mois de novembre. En janvier prochain, nous communiquerons sur les moyens d’aide pour arrêter de fumer, notamment en promouvant Tabac Info Service. Enfin, n’oublions pas que le PNRT contient beaucoup d’actions (le paquet neutre en est une) et que beaucoup de choses sont encore à faire dans la lutte contre le tabagisme.
Propos recueillis par Camille Bertrand, ISP à Paris
Crédit photo : Camille Bertrand
Mise en page par Sylvain Gautier, ISP Paris