Appuyée sur une vision holistique de la santé, l’évaluation d’impact sur la santé (EIS) se déploie dans le monde depuis le milieu des années 1990. Démarche permettant d’apprécier les impacts positifs comme négatifs sur la santé d’une politique ou d’un projet et d’agir sur les déterminants de la santé, l’EIS est l’occasion d’un vrai dialogue entre professionnels et citoyens. Muriel Dubreuil qui a réalisé l’une des premières EIS menées en France nous apporte quelques éléments de définition à ce sujet.

 

Qu’est-ce qu’une Évaluation d’Impact sur la Santé ?
MD : L’EIS est une démarche d’accompagnement du processus de décision publique en vue du développement de politiques favorables à la santé. Elle est définie comme un ensemble de procédures, méthodes et outils qui visent à identifier, généralement ex ante, des impacts positifs ou négatifs attendus d’une politique (d’un programme ou d’un projet) sur la santé de la population et leur distribution dans les différentes strates sociales. L’EIS permet d’estimer à l’aide d’informations scientifiques (données dites « probantes »), d’avis d’experts, de retours des habitants et de données de contexte, les impacts potentiels sur le bien-être des populations puis de proposer des recommandations visant à maximiser les gains potentiels en termes de santé et à limiter les dommages potentiels pour la santé. L’EIS est ainsi une démarche de travail partenariale permettant de partager des connaissances sur les déterminants de la santé, entre des responsables de politiques sectorielles et/ou de projets et des professionnels de santé publique sensibilisés à cette pratique.
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Concrètement, à quels types de projets peut-elle s’appliquer ? Combien d’EIS ont été menées en France ?
MD : L’EIS peut s’appliquer au niveau des politiques publiques, des programmes ou des projets. L’ensemble des politiques/programmes/projets non sanitaires (transport, logement, développement urbain, emploi, politique fiscale, etc.) sont visés, dans la mesure où ils peuvent avoir un effet direct ou indirect sur les déterminants de la santé ou sur les inégalités. Plusieurs dizaines d’EIS sont en développement en France, en grande partie dans le champ de l’urbanisme et de la rénovation urbaine, avec quelques développements sur d’autres politiques publiques de façon plus marginale.


L’un des avantages majeurs de cette démarche est de donner la parole à toutes les parties prenantes. En quoi cela consiste-t-il ? Comment fait-on pour cela ?
MD : La démarche d’Évaluation d’impact sur la santé s’inscrit dans les principes de la charte d’Ottawa pour la promotion de la santé et s’appuie sur une vision holistique de la santé ; aussi les représentants des citoyens sont-ils la plupart du temps, associés à la démarche, ceux-ci étant les mieux placés pour exprimer leurs besoins, préoccupations et vision pour l’avenir. Dans une EIS, l’expertise citoyenne complète l’expertise scientifique. La concertation ainsi mise en place permet de combiner décision politique, état des connaissances scientifiques et savoir empirique des habitants dans leur vécu quotidien. L’inclusion des parties prenantes et des citoyens dans le processus de décision aide à la mise en œuvre des recommandations en augmentant leur légitimité. Il n’y a pas un cadre spécifique à l’EIS pour la consultation des parties prenantes, mais il est possible de s’appuyer sur des développements méthodologiques issus de la recherche participative ou tout simplement sur des dispositifs de concertation préexistants.


Quelles sont les différentes étapes d’une EIS ? Peut-on faire une EIS rapidement ?
MD : Il existe un processus de travail codifié, élaboré et partagé par différents praticiens à l’échelle internationale avec cinq étapes (sélection, cadrage, analyse, recommandations et suivi/évaluation). Le développement d’une EIS implique l’existence d’un commanditaire, qui peut être une collectivité territoriale, un porteur de projet, un maître d’œuvre, etc. Si la décision de réaliser une EIS est retenue, il sera nécessaire d’impliquer les acteurs susceptibles d’interférer avec le projet. La constitution d’un comité de pilotage de l’ensemble des parties prenantes est fréquemment retenue. Le choix d’un (ou plusieurs) évaluateurs responsables de réaliser l’EIS devra être effectué. En fonction du temps imparti et des ressources disponibles, il sera possible de réaliser différents types d’EIS : une EIS rapide (quelques semaines, basées sur revue de littérature), une EIS intermédiaire (2 à 6 mois, avec participation citoyenne) ou une EIS approfondie (6 mois et plus, générant de nouvelles productions de données en plus de la participation citoyenne).


Les recommandations formulées à l’issue d’une EIS doivent permettre de rendre le projet plus respectueux de la santé. Dans quelle mesure la réalisation d’une EIS pourrait-être systématique pour les plans d’urbanisme ou de rénovation urbaine ?
MD : Dans la plupart des pays européens, les EIS sont réalisées sur une base volontaire. Je pense, personnellement (mais cet avis n’engage que moi) que la richesse des résultats et des recommandations d’une EIS tient à ce caractère volontaire. Il y a une dimension très liée au contexte dans une EIS qui rend, à mon sens, difficile sa systématisation, s’il s’agit par ce terme de « systématisation méthodologique ». Quand à rendre plus « fréquent » le recours à des EIS, en particulier sur des projets où on anticipe des enjeux importants pour la santé, oui ce serait une manière de tendre vers « des politiques publiques favorables à la santé ». Reste la question du coût ; une EIS mobilise des compétences, variées selon les projets et cela a bien sûr un coût.


Au Québec, l’article 54  (en vigueur depuis 2002) de la loi de santé publique oblige l’ensemble des ministères et organismes à évaluer l’impact potentiel de leurs lois et règlements sur la santé de la population. En France, un volet sanitaire est accolé aux évaluations d’impact environnemental rendues obligatoires par la loi. Est-ce là la même chose ? Parle-t-on d’authentiques EIS ou d’ERS ?
MD : Non ce n’est pas exactement la même chose. D’un côté il s’agit de lois et/ou règlements et de l’autre de plans. Par ailleurs l’EIS a une approche par déterminants de la santé, alors que l’ERS a une approche par risques. La dimension « prise en compte des aspects positifs sur la santé » est ainsi importante dans la démarche EIS.


Quelle(s) EIS avez-vous réalisés ?
MD : J’ai collaboré avec l’EHESP sur une expérimentation d’EIS puis j’ai été co-pilote d’une EIS sur des projets de transports en commun de la communauté d’agglomération de Plaine Commune en Seine-Saint-Denis et je développe d’autres projets.
Les médecins de santé publique pourraient être légitimes à réaliser de telles évaluations ex ante. Existe-t-il des guides ou des formations spécifiques ? Vous accueillez par ailleurs des internes de santé publique sur cette thématique à l’ORS d’Île-de-France.
MD : Les compétences des évaluateurs ont été identifiées, il s’agit à la fois de compétences techniques et « managériales »  : – Diplôme en relation avec la santé (santé publique, géographie de la santé, etc.) ; – Expérience en animation d’équipe ; – Compétences : analyse de données ; synthèse d’articles scientifiques et de rapports ; production de raisonnements logiques et analytiques ; entretiens avec informateurs clés ; connaissances/expérience des questions sociales, de santé, inégalités de santé et questions environnementales ;- Qualités : impartialité, persévérance, diplomatie. Il y a des formations en France et à l’étranger et de nombreux guides ont été produits et peuvent aisément être trouvés sur internet. Les évaluateurs expérimentés d’autres pays plus avancés que la France, font valoir que la compétence s’acquiert aussi beaucoup par la pratique. Cela signifie qu’il y a une montée en compétences en France. Par ailleurs, il est possible d’accueillir des internes sur ce thème, parmi les différents thèmes qui sont proposés aux internes de santé publique dans un ORS, cela dépend des orientations et choix stratégiques de la structure.


Quel avenir peut-on envisager pour les EIS en France ? Peut-on plaider pour une généralisation ? pour rendre cette démarche plus systématique voire obligatoire pour certains projets (comme c’est le cas des EIE) ? Qui serait alors chargé de les réaliser ? une agence dédiée ? les ARS ? des équipes de recherche ?
MD : La pratique est encore relativement jeune, elle suscite donc beaucoup d’intérêt. Ce seront, je pense, des projets ad hoc qui se développeront, en fonction des opportunités, différentes sur les différentes territoires. L’expérience des pays ayant développé les EIS depuis plus longtemps montre que la pratique peut être assez variée et les acteurs impliqués également. Je ne pense pas qu’il y ait de « règles » vraiment établies en France à ce sujet ; différents acteurs s’impliquent, de façons distinctes selon les territoires, les régions, en fonction de modes de collaboration préexistants. Le retour d’expériences des premières « vagues » d’EIS permettra d’ici un ou deux ans, de voir à la fois comment les acteurs s’en saisissent et quelles sont les enjeux de qualité des EIS (il y a un certain nombre de critères repérés dans la littérature internationale). L’EIS se développera si elle arrive à montrer sa valeur ajoutée et à avoir une influence sur les politiques publiques. C’est cependant, quoiqu’il en soit une excellente démarche de plaidoyer pour la santé et j’espère, personnellement, qu’elle a de bonnes perspectives devant elle. Enfin, l’EIS est un type de « recherche interventionnelle » : les acteurs institutionnels et certains chercheurs abordent progressivement ces approches encore insuffisamment présentes dans la « boîte à outils » des démarches de recherche en santé publique développées dans notre pays.