Présent en Europe à l’occasion du Forum mondial de la langue française à Liège, Tidiane Ball est venu rencontrer le SPI pour présenter son projet. Médecin de santé publique au Mali et engagé dans l‘accès aux soins, il est le fondateur du site internet Mali-Santé. Sa venue a permis de traiter de nombreux sujets avec les internes de santé publique : études, difficultés rencontrées au cours de la formation, projets…

Pourriez-vous nous présenter brièvement votre parcours ?

Je suis médecin spécialiste en informatique médicale. J’ai fondé en 2009, le site web malisanté.net, site d’information médicale au Mali. Il répertorie tous les dispositifs médicaux, les médecins, les cabinets sur l’ensemble du territoire. Le site, après 6 ans d’existence, compte 30000 visites par mois.

Pourquoi avoir fait médecine ?

Au Mali, le choix est très limité après le bac. A l’époque, nous n’avions que quatre grandes écoles : médecine, droit, économie et la fac de science. Je me suis orienté vers la biologie car je voulais devenir médecin. Mais au fil du temps, en arrivant vers la cinquième année, je me suis posé des questions car le métier de médecin au Mali est très compliqué. Le salaire d’un médecin malien est d’environ 200.000 CFA (environ 300€). C’est difficile d’être payé comme ça quand on a fait bac+7. Dans ce cas, on se dit qu’on ne pourra pas être un bon médecin avec un tel salaire. À un moment donné, tu es médecin et tu fais d’autres choses à côté. Certains écrivent des ordonnances qui n’ont pas de sens contre rémunération. Certains fraudent sur les ordonnances ou les bilans biologiques pour s’enrichir. Les conditions ne sont pas réunies pour faire de la médecine de qualité. Je me suis dit qu’étant données mes qualités en informatique, je pourrais faire le lien avec la médecine. J’utiliserais ainsi mes connaissances de médecine dans l’informatique et mes connaissances d’informatique dans la médecine.

Existe-t-il une spécialité de santé publique au Mali ?

Elle existe mais est récente. Elle a été crée il y a 2 ou 3 ans. Les domaines de la santé publique sont limités. Il s’agit essentiellement de la nutrition et de la santé communautaire. Beaucoup moins de l’épidémiologie bien qu’il existe un partenariat entre des facultés de médecine du Mali et la faculté de Bordeaux. De nombreuses disciplines de santé publique ne sont pas enseignées au Mali. C’est lié à l’environnement car au Mali, nous avons essentiellement des problèmes de nutrition et développé un système de centres communautaires donc il faut former des spécialistes dans ce domaine là. Cependant, le master est très cher au Mali. Il faut compter 4000€ par an.

Comment se déroule l’internat au Mali ?

C’est un peu la même chose au Mali (qu’en France) sauf que maintenant l’internat est bloqué car l’état n’a plus l’argent pour financer l’après concours. Il faudra financer les études pour les internes. L’état avait suggéré que chaque étudiant finance lui-même ses études. Le problème est que la plupart des étudiants n’ont pas les moyens. Du coup, il n’existe plus de concours de l’internat. La spécialisation se fait directement après les études. Avant, plusieurs générations d’étudiants ont passé le concours d’internat mais l’expérience s’est arrêtée là. Le système a beaucoup d’avantages car très jeune on devient spécialiste. Ça évite de devoir attendre longtemps.

Comment se passe le choix des spécialités médicales ?

Il faut s’inscrire pour la spécialisation. Il peut exister des concours locaux de spécialisation. Un étudiant voulant faire de la cardiologie peut s’inscrire en cardiologie afin de passer le concours. En cas d’échec, il faudra attendre une année supplémentaire pour passer un autre concours.

L’internat est-il optionnel ?

L’internat n’existe plus. La spécialisation se fait après les 7 années d’études (les premiers et deuxième cycles en France, NDLR). Pas besoin d’attendre 4 ans pour se spécialiser.

L’informatique médicale est-elle une spécialité au Mali ?

À l’époque, il n’était pas possible de se former dans le domaine de l’informatique médicale au Mali. Il fallait aller à l’université d’Aix-Marseille qui permettait de suivre la formation en ligne. J’ai obtenu une bourse de l’OIF (Organisation Internationale de la Francophonie) pour financer les études. Celle-ci n’a pas été reconduite pour la deuxième année de master. La spécialisation en informatique médicale s’est donc faite par ce cursus.

Où en est l’informatique médicale au Mali ?

C’est compliqué. Nous avons une agence nationale de télé-médecine et d’informatique médicale mais qui en est à ses débuts et qui patauge. Tant de fois ils ont essayé de mettre en place le dossier médical informatisé mais n’ont pas réussi compte tenu du désordre dans les hôpitaux. Au Mali, le problème des projets est l’instabilité des financements. Quand les financements s’arrêtent, les projets s’arrêtent.

Pouvez-vous développer un projet que vous avez eu avec Malisanté ?

Le nouveau projet que nous développons actuellement est une plate-forme en ligne qui permettra à la diaspora malienne de subvenir aux besoins médicaux de leurs parents qui sont restés au Mali. Au lieu d’envoyer de l’argent liquide, et afin d’éviter de se faire escroquer ou que l’argent soit mal utilisé par les proches. Le système permet de transmettre de l’argent à ses proches sans risque après avoir créé un compte, que le correspondant au Mali pourra utiliser grâce à une carte. Quand il aura un besoin médical (consultation, pharmacie…), il amènera la carte. Le médecin ou le pharmacien pourra consulter le crédit du compte et accepter cette carte comme moyen de paiement. Ce système est plus avantageux que les systèmes de transfert classiques qui prennent environ 5% de commission pour envoyer de l’argent. Notre plate-forme Malisanté n’est pas gratuite mais tout de même beaucoup plus avantageuse (plutôt 2,5% de commission pour les frais de fonctionnement).

Qu’en est-il du secret médical et de informations transmises aux proches qui expédient l’argent ? Y a-t-il un respect de la confidentialité quant à la connaissance de l’utilisation des fonds par les proches qui envoient l’argent ?

Ont connaissance de cette utilisation : les proches, les médecins, les pharmaciens, le patient lui même, et le gestionnaire. Mais les proches et le gestionnaire n’ont accès qu’au solde du compte. De même que le médecin afin de savoir si le patient pourra se payer le traitement. Les proches doivent avoir accès aux informations pour savoir si leur argent est bien dépensé. Les dépenses de santé font l’objet de la génération automatique d’un reçu. Les Maliens de la diaspora sont très satisfaits à l’idée d’avoir des reçus afin d’obtenir une remise sur les impôts en fin d’année.

Les proches ont-ils accès aux soins et médicaments auxquels le patient a eu recourt ?

Non, les proches ne connaissent que les sommes dépensées par les reçus auxquels ils ont accès.

Comment fonctionne MaliSanté ? Par votre unique volonté ? Avez vous d’autres financements ?

Nous n’avons actuellement pas de financement ou de publicité. La question des financements est compliquée au Mali. Il faut connaître personnellement les décideurs pour obtenir les financements. Sinon, la demande n’obtient pas de retour.

Existe-t-il d’autres projets similaires ?

Je suis le seul au Mali. J’ai commencé les discussions avec les Maliens de France par une fiche d’enquête afin de savoir par quelles régions maliennes commencer, s’ils sont intéressés par le projet et aussi les intégrer dans la mise en oeuvre du projet, et essayer qu’ils soient intéressés depuis le début. La co-construction du projet avec les Maliens concernés facilitera la conduite de la démarche.

Quelle est votre perspective de déploiement du projet ?

La première région sera celle où il y a la plus grande émigration vers la France. Et Bamako car beaucoup de Malien de la capitale ont un proche en France et que la ville compte beaucoup d’hôpitaux.

Quelle est la finalité de Mali Santé ? Une évaluation de l’impact du projet est-elle prévue ?

Malisanté a pour finalité de devenir une plate-forme médicale au Mali. Nous allons évaluer l’impact du projet à travers des questionnaires afin de mesurer le niveau de satisfaction de nos cibles. Cet impact se mesure aussi par l’accès aux soins des populations maliennes, qui sera facilité par la plate-forme Malisanté.

Pour en savoir plus sur le projet : www.malisante.net

Ou contacter Tidiane Ball : info@malisante.net

Propos recueillis par le SPI