Le Dr François Bourdillon, directeur général de Santé publique France, qui nous fait par ailleurs l’honneur d’intervenir lors du SANI, a accepté de répondre à quelques-unes de nos questions.
AS : Comment êtes-vous venu à la santé publique ?
Avec le SIDA, j’étais chargé de mission à l’ORS Ile-de-France sur le SIDA et j’assurais des consultations VIH à Louis Mourier. Le ministère de la santé m’a alors proposé un poste de chargé de mission à la mission SIDA de la direction des hôpitaux (devenue direction générale de l’offre de soins). Il s’agissait de contribuer à adapter notre système de santé pour faire face à l’épidémie de VIH – SIDA. Tout était à construire. Nous avons mis en place un système d’information hospitalier pour savoir où étaient soignés les patients, à quel stade ils étaient. Nous avons coordonné le premier groupe d’experts pour élaborer les premières recommandations de pratiques cliniques du SIDA. Nous avons développé un plaidoyer pour financer les soins et en particulier les antirétroviraux.
C’est ainsi que j’ai commencé la santé publique ; je suis devenu ensuite responsable de la mission SIDA et depuis je n’ai jamais arrêté la santé publique !
AS : Vous êtes actuellement directeur général de Santé publique France, l’agence nationale de santé publique née de la fusion de l’InVS, l’INPES, ADALIS et l’EPRUS. Pourriez-vous nous rappeler ce qui a présidé à la création de cette agence ?
Il y a eu toute une série de rapports parlementaires, de l’IGAS soulignant « un millefeuille d’agences » créées au fur et à mesure des crises et préconisant de s’inspirer de nombreux pays étrangers ayant une seule agence dédiée à la santé publique. Ensuite, la décision de fusionner les agences fut prise par la Ministre en charge de la santé et inscrite dans la loi de modernisation de notre système de santé. C’est ainsi qu’a été créée l’agence française de santé publique, Santé publique France. J’ai tout d’abord été nommé préfigurateur en 2014. J’ai remis le 1er juin 2015, un rapport de préfiguration à la Ministre ce qui a ouvert à la création de l’Agence : une agence de santé publique au service de la population.
AS : En tant que préfigurateur de Santé publique France vous avez largement contribué à en définir les contours. Pourquoi finalement le législateur n’a-t ’il pas choisi de doter l’agence du statut d’Autorité administrative indépendante (AAI) à l’image de la HAS ?
Nous sommes une agence sanitaire. Nous travaillons pour le ministère de la santé avec des missions définies par la Loi (cf. encadré). Ce sont principalement des missions d’expertise qui permettent d’éclairer la politique publique. Sachez que l’ensemble des agents sont soumis à des déclarations d’intérêt. Nous nous devons d’exercer nos missions sans conflit d’intérêt. Notre comité d’éthique et de déontologie y est très attentif. Nous avons une indépendance scientifique.
Les six missions de Santé publique France :
– L’observation épidémiologique et la surveillance de l’état de santé de la population
– La veille sur les risques sanitaires menaçant les populations
– La promotion de la santé et la réduction des risques pour la santé
– Le développement de la prévention et de l’éducation pour la santé
– La préparation et la réponse aux menaces, alertes et crises sanitaires
– Le lancement de l’alerte sanitaire
AS : Parmi les défis d’une telle fusion on peut relever le besoin de convergence. Comment a été pensé le nécessaire dialogue entre les disciplines, métiers et expertises au sein de l’agence ?
Il existe une continuité entre la surveillance des maladies et de leurs déterminants, et les actions de prévention – promotion de la santé qui en découlent. La création de l’agence a permis de créer le continuum entre la connaissance et l’action.
Un des principes de notre programmation a été de proposer des programmes sur les déterminants, les pathologies, les populations intégrant ce principe de continuum. Le dialogue entre les disciplines, métiers et expertises au sein de l’agence s’est institué du fait même du processus de programmation.
AS : L’agence est souvent présentée comme un simple opérateur de l’Etat. Simultanément, on vante les mérites de l’evidence based public health et le besoin d’articuler action et recherche. Quelle place pour l’expertise à Santé publique France dans ce contexte ?
Avant la fusion, ni l’InVS, ni l’INPES, ni l’EPRUS n’étaient organisés avec des comités d’experts. Nous avons développé à Santé publique France une expertise scientifique travaillant selon les principes de la charte de l’expertise et l’Agence dispose dorénavant de commissions d’experts. C’était une orientation forte du rapport de préfiguration. Cette expertise aide à la construction de nos stratégies. Par exemple, le récent avis alcool de mai 2017, permet de construire notre stratégie de prévention des consommations excessives d’alcool.
AS : La présence territoriale de Santé publique France est particulièrement visible sur le champ épidémiologique. Les CIRE (Cellules d’intervention en région) sont l’émanation régionale de la veille et de la surveillance régionale telle qu’elle était pratiquée par l’ex-InVS. Y a-t-il projet d’étendre leurs compétences, notamment vers des missions de prévention ?
C’est une spécificité de l’agence que d’avoir des délégations en région. Nous avons entre 8 et 10 personnes dans chaque CIRE capables d’assurer la veille et la surveillance mais aussi de réaliser des investigations épidémiologiques. Par contre les CIRE n’ont pas des missions de prévention -promotion de la santé qui sont de la responsabilité des ARS.
AS : Un des enjeux modernes lorsqu’on travaille à la santé des populations est la réponse à l’urgence sanitaire. Alerter quand nécessaire, ne pas faire dans le catastrophisme… comment placer le curseur au bon endroit ?
C’est notre responsabilité et cela peut être illustré par les concepts de sensibilité et spécificité utilisés en biologie. Si vous criez au loup tout le temps plus personne ne vous écoute ; à l’inverse quand vous sonnez l’alerte vous n’avez pas le droit de vous tromper ! C’est une grosse responsabilité puisque l’alerte est une des missions de Santé publique France. L’Agence dispose d’une grosse expérience dans ce domaine de plus de 20 ans. Chaque situation est examinée au cas par cas et est discutée collectivement. Notre dispositif est assez bien structuré notamment grâce au système de surveillance syndromique SURSAUD qui nous permet d’analyser l’activité des urgences, des SOS médecins et des décès.
AS : La vaccination a été et reste un progrès majeur de santé publique. Pourtant, aujourd’hui, l’hésitation vaccinale croît. Dans ce contexte, quelle stratégie de promotion de la vaccination adopter ?
A Santé publique France, nous assurons la surveillance des maladies à prévention vaccinale, de la couverture vaccinale, connaissances, attitudes et représentations de la population vis à vis de la vaccination. Nous participons au comité technique des vaccinations et nous faisons de l’information et de la promotion autour de la vaccination. Nous avons assuré le secrétariat de la concertation citoyenne présidée par le Pr Alain Fischer.
Le programme vaccination est un gros programme de Santé publique France. Pour lutter contre l’hésitation vaccinale nous essayons en particulier d’améliorer l’information. Ainsi a été créé un site internet de référence sur la vaccination : vaccination-info-service. En 4 mois, 850 000 visiteurs différents ont consulté ce nouveau site. L’analyse du baromètre santé nous permet d’adapter nos messages en fonction des connaissances et attitudes des français face à la vaccination.
AS : Aujourd’hui, 5.9% des dépenses de santé sont allouées à la prévention et promotion de la santé. Quelle est leur place dans les politiques de santé pour les prochaines années ?
Cela peut paraître à la fois beaucoup d’argent et peu au vu de l’importance de la prévention et la promotion de la santé. Et puis surtout, cela dépend de ce que l’on met dans les 5,9%. La prévention – promotion de la santé a besoin de moyens supplémentaires. Nous avons la chance d’avoir un gouvernement qui porte un vrai projet de prévention. C’est le principal axe de la stratégie nationale de santé.
AS : Vous renouvelez régulièrement votre soutien à notre spécialité. Les internes de santé publique sont toujours plus nombreux à être accueillis au siège ou dans les antennes régionales de l’agence. Quel conseil donneriez-vous à un jeune étudiant qui débute son internat ?
La santé publique est une superbe discipline. Chacun peut trouver facilement chaussure à son pied du côté des biostatistiques ou des sciences sociales, de la gestion ou de la politique de santé, ou enfin du côté de la connaissance ou de l’opérationnel. Je souhaite que Santé publique France dans toutes les régions de France permettent aux étudiants de santé publique de se former. Santé publique France est leur maison.
AS : De façon plus générale, selon vous, quelles sont les qualités importantes pour un médecin de santé publique ?
La qualité primordiale d’un médecin de santé publique est l’ouverture d’esprit. C’est un métier très transversal, très large et très différent du métier de médecin. En santé publique, on nous apprend à penser « population » groupe et non pas « individu », en n’oubliant jamais que nous œuvrons pour la santé de tous. Faire de la santé publique c’est être à la croisée des autres disciplines (droit, économie, politique…) ; c’est passionnant. Le fait d’être une passerelle entre plusieurs mondes donne beaucoup de satisfaction au métier.
AS : A votre avis, quels sont les grands enjeux de santé publique de demain ?
L’enjeu principal reste l’amélioration de la santé de la population. Cela passe par une bonne organisation du système de santé pour faire face aux nouveaux enjeux : les maladies émergentes, la résistance aux antibiotiques, la montée des maladies chroniques, la lutte contre l’obésité, la réduction du tabagisme, la prise en compte des risques environnementaux et au travail…
Propos recueillis par Arnaud Serret-Larmande, ISP à Paris
François Bourdillon est l’auteur avec Didier Tabuteau et Gilles Brücker du « Traité de santé publique », un ouvrage complet qu’il est conseillé de consulter !